Traité du desespoir
Søren Kierkegaard
Manquer d'infini resserre et borne desespérement. Et il ne s'agit ici nullement que d'étroitesse et d'indigence morale. Le monde, au contraire, ne parle que d'indigence intellectuelle ou esthétique ou de choses indifférentes dont toujours il s'occupe le plus ; car son esprit justement, c'est se donner une valeur infinie aux choses indifférentes. La réflexion des gens s'accroche toujours à nos petites différences, sans se douter comme de juste de notre unique besoin (car la spiritualité c'est s'en douter), aussi n'entend-elle rien à cette indigence, à cette étroitesse qu'est la perte du moi, perdu non parce qu'il s'évapore dans l'infini mais s'enferme à fond dans le fini, et parce qu'au lieu d'un moi, il ne devient qu'un chiffre, qu'un être humain de plus, qu'une répétition de plus d'un éternel zéro.
p. 94-95